Tribune/Un Système éducatif obsolète : la seule chose que nous n’apprenons pas à l’école, c’est comment améliorer notre nation

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(Patience Kabamba)

Après avoir terminé le noviciat jésuite à Bafoussam, au Cameroun, alors que j’avais à peine la vingtaine, je suis allé à Paris. J’ai étudié la philosophie auprès d’universitaires renommées. J’ai appris ce que je sais de Nietzsche auprès de Paul Valadier, Pierre Jean Labarrière et Gwendoline Jarzick m’ont enseigné Hegel et de François Marty la linguistique saussurienne. De grands experts dans leurs domaines respectifs m’ont donné des cours sur Emmanuel Levinas, Merleau Ponty, Paul Ricoeur et Martin Heidegger. Grâce à la formation scientifique et humaine que j’avais acquise au Collège des Jésuites au Congo, je me sentais chez moi dans cet environnement et à l’aise comme un poisson dans l’eau. Même mes camarades de classe français ont reçu de ma part des explications sur les cours de philosophie.

D’ailleurs, j’étais bien meilleur dans l’apprentissage des leçons qui nous étaient enseignées que certains Français eux-mêmes. En termes de formation, j’ai bien mieux compris les cours qu’on nous dispensait que certains Français eux-mêmes. Cependant, ce que je ne réalisais pas très bien, c’est que tous ces étudiants français avec lesquels je suivais des cours à la Faculté jésuite de philosophie du Centre Sèvres ou à l’Université Catholique de Paris appartenaient à une société qui n’avait pas de problème de la malaria dû aux anophèles qui affaiblissent notre système immunitaire au Congo. Je ne savais pas que les Français n’avaient plus le problème de l’eau potable qui nous rendait chaque jour malade de l’amibiase au Congo. Je me suis retrouvé à expliquer la philosophie de Hegel à des étudiants français, appartenant à une société qui avait largement surmonté le problème de la faim, alors que chez nous, au Congo, seule une infime minorité mangeait à sa faim. A Paris, nous avions l’habitude de dire instinctivement « bon appétit » à la pause déjeuner car nous pensions que tout le monde mangerait. Hormis dans les internats bien gérés, relativement peu d’élèves au Congo déjeunaient à midi. En bref, au début de la vingtaine, je me suis retrouvé en France pour apprendre les mêmes choses que les Français étudiaient, mais dans un pays où le paludisme qui prive les Congolais de leurs immunités, le manque d’eau potable, la famine et la malnutrition n’avaient aucune incidence sur mes études. Après trente ans, je me retrouve encore à enseigner l’anthropologie ou la culture africaine à des étudiants mal nourris, sans accès à l’eau potable ou atteints de paludisme. Mon intelligence n’a pas reçu les outils dont elle avait besoin pour contribuer à éradiquer ces maux sociaux. Je n’ai donc acquis aucune connaissance de ce qui pourrait modifier la situation de la société congolaise. Il y a une urgence avec le chaos qu’est notre transport urbain.

Mais personne ne vous enseigne jamais comment rendre cela facile et sans stress. Il existe des départements de géographie, d’urbanisme et d’environnement et d’informatique dans mon université, l’Université pédagogique nationale. Cependant, nous n’enseignons pas à nos étudiants comment gérer le problème réel des embouteillages qui se produisent juste devant nous, à proximité de l’établissement. L’une des meilleures universités privées du pays, l’Université Catholique du Congo, est située à proximité de la rocade, l’artère principale. Cependant, dans leurs cours, on leur enseigne la Cité de Dieu de Saint Augustin, les politiques coloniales, les théories du développement ou le droit romain, jamais rien qui puisse résoudre directement les problèmes immédiats du pays. Il se trouve qu’à la sortie de l’école, les étudiants se retrouvent face à un long embouteillage constitué de camions remorques qui paralysent toute la circulation routière. L’école congolaise n’est pas équipée pour faire face à des problèmes tels que la corruption généralisée, les pénuries d’eau potable, le paludisme ou la famine, qui dévastent les personnes et les institutions.

Le département d’agriculture de l’Université du Kwango, dans la ville de Kenge, en est un autre exemple. Kenge une ville avec un taux de malnutrition élevé. Nous pouvons le constater grâce au nombre dérisoire de tomates fraîches vendues au marché. L’objectif du département d’agriculture n’est pas d’aborder le problème de la malnutrition à Kenge, mais plutôt d’enseigner aux étudiants des méthodes agricoles similaires à celles enseignées à Gembloux, en Belgique. Il me semble que l’école congolaise n’a pas été créée pour répondre aux problèmes urgents auxquels est confrontée la nation. Ainsi, nous perdons plusieurs années d’éducation à apprendre des choses qui ne nous font pas progresser.

Le modèle colonial sert de base à notre système éducatif. En France, j’ai réalisé que ce que nous avions appris s’adressait en réalité aux pays qui avaient déjà surmonté des difficultés telles que la famine, le paludisme et l’accès à l’eau potable. Ils possédaient des systèmes bancaires efficaces et un système de transport bien organisé. Pour retirer de l’argent dans une banque au Congo, il faut de la patience. Vous pourriez devoir attendre toute la journée pour retirer ou déposer de l’argent les jours de paie. Du fait qu’il y a plus de voitures à Kinshasa que de routes fonctionnelles, nous passons désormais deux fois plus de temps sur les routes. Aucun enseignement proposé dans les écoles ou les universités ne se concentre sur ces questions d’actualité. Il est plus simple de résoudre des équations différentielles à variables complexes que de traiter des problèmes tels que les embouteillages à Kinshasa, le manque d’eau potable ou même les moustiques qui affaiblissent notre système immunitaire. Contrairement à d’autres endroits, l’éducation au Congo n’est pas conçue pour répondre à des problèmes réels du pays. .

On se sent plus à l’aise à Paris, New York ou Londres que chez soi après avoir fréquenté une école congolaise. A vingt ans, je maîtrisais la philosophie, je pouvais l’expliquer aux jeunes Français, mais je ne connaissais rien de ce qui était urgent dans mon pays. Trente ans plus tard, je vis exactement la même chose en tant que professeur d’université. Mes connaissances sont obsolètes par rapport aux urgences de mon peuple. Nous avons investi trente ans de notre intelligence sur des choses qui n’aident pas l’Afrique à se développer. Je me suis senti très à l’aise très jeune à Paris car je maîtrisais la littérature française, l’histoire napoléonienne et la géographie européenne. Tout ce qu’on m’a appris m’a préparé à la vie en Occident. S’il m’arrivait d’aller à Mwene Ditu, Kasumbalesa, Butembo ou Kasongo-Lunda, je me sentais comme un étranger. Les études m’ont déraciné de mon environnement naturel. Ils m’ont préparé à tout sauf à comprendre le problème des moustiques, du manque d’eau potable, de la famine et de la malnutrition. Aujourd’hui encore, notre système éducatif est resté colonial, il n’a rien à voir avec ce qui peut nous aider à nous développer. Il est plus urgent, me semble-t-il, d’enseigner les techniques agricoles que la littérature coloniale ou la religion. Nous attendons toujours l’émergence d’un système éducatif efficace, basé sur nos besoins réels.

Rien dans ce système colonial ne changera suite aux défilés de candidats à la députation ou à la présidence de la république. Pour créer un système éducatif qui réponde aux exigences des Congolais, nous avons besoin d’individus intelligents et courageux. Pour les renseignements congolais, les réformes actuelles qui mettent en œuvre le système expérimental LMD sont une plaisanterie et un homicide. Le développement de cet énorme mastodonte aux pieds d’argile qu’est le Congo sera décidé pour toujours par celui qui examinera le système éducatif congolais pour le rendre adéquat aux véritables demandes du peuple.