La chute de Mutamba – ce « Jésus crucifié » pour les uns, corrupteur présumé pour les autres, martyr du système pour ses thuriféraires – offre un feuilleton riche en enseignements. Surtout en République Démocratique du Congo, où l’indignation fluctue trop souvent au gré des positionnements politiques ou tribaux, plutôt que des principes.
Le détournement, ou le Kuluna qui vide ton salon…
Pour qui peine à saisir les subtilités juridiques, une image s’impose : un Kuluna pénètre chez vous, rafle votre argent, le planque dans son propre compte (ni celui de sa mère, ni d’une mystérieuse Zion Construction), et se fait prendre la main dans le sac. Réagiriez-vous par : « Pauvre innocent, il n’a même pas dépensé l’argent ! » ? Évidemment non. Vous exigeriez restitution. Mutamba, selon la loi congolaise et sa jurisprudence, est dans cette situation.
La Cour Suprême de Justice (ancêtre de l’actuelle Cour de Cassation) a établi dès 1975 (Arrêt R.P.A. 33 du 21/11/1975, Bull.1976.p.225) : «Si les poursuites pénales en matière de détournement ont leur base légale dans l’article 145 du Code pénal […] la preuve de l’intention frauduleuse peut être établie par la violation des instructions administratives relatives à la gestion des fonds.» Autrement dit : ne pas suivre les règles de gestion suffit à caractériser l’intention frauduleuse. Cette jurisprudence est antérieure à la naissance de Mutamba – nullement une improvisation pour le perdre. Les faits sont têtus, même sous le sceau sacré de la présomption d’innocence.
La rigueur pour les autres, l’indulgence pour soi ?
L’ironie suprême ? Mutamba, érigé en victime expiatoire, fut lui-même un procureur zélé. Rappelez-vous cette affaire où il avait pressé le Procureur Général près la Cour de Cassation de justifier l’origine des fonds ayant financé sa villa en Belgique (« moins d’un million, une broutille » selon certains) – un épisode qui fit grincer des dents à l’époque. Comment croire qu’un pourfendeur de malversations, capable de traquer la moindre opacité financière d’autrui, puisse ignorer qu’empocher des millions sur des fonds publics est répréhensible – et éthiquement insoutenable ? La leçon est crue : on ne joue pas les justiciers impitoyables avec des squelettes dans son placard. La bonne gouvernance n’est pas un slogan contre ses ennemis, mais une hygiène de vie politique.

Le syndrome du « c’est pas moi, c’est le système »
Certains dénoncent une « vengeance politique ». D’autres s’étonnent : « Il n’a même pas dépensé l’argent ! » Comme si détourner était un crime à consommation différée. « Je n’ai pas encore brûlé la maison cambriolée, donc je suis innocent ! » – voilà l’absurdité du raisonnement.
Le vrai problème réside dans l’équation toxique du système congolais : « Tout le monde le fait, donc celui qui tombe est un martyr. » Mais la justice, même boiteuse, doit bien commencer quelque part. Et quand un ex-procureur trébuche sur les lois qu’il devait faire respecter, le symbole est… savoureux.
L’éthique, ça se vit, ça ne se prêche pas.
Mutamba n’est ni saint ni démon. Il est le produit d’un système où la moralité se négocie. Mais sa chute rappelle l’évidence : on n’exige pas d’autrui une intégrité qu’on ne pratique pas. Alors, avant de crier à la persécution, posons-nous la question : si un Kuluna ne peut voler du « pain » impunément, pourquoi un haut fonctionnaire le pourrait-il ? La justice n’a pas à être clémente sous prétexte que « d’autres font pire ». Elle doit simplement être… juste.
Si Mutamba veut redevenir un symbole, qu’il incarne désormais cette leçon : en matière de gouvernance, il faut être irréprochable pour reprocher.
Maître Kiba Typo Guy-Patrick
Avocat – Défenseur des droits humains et expert des contentieux internationaux des droits humains
Président, ALL4RIGHTS – Institut International pour les Droits Fondamentaux et la Justice Sociale, AISBL