Les récentes mesures imposées par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) suscitent de vives inquiétudes parmi les professionnels des médias, les défenseurs des droits humains et les acteurs politiques. Sous couvert de sécurité nationale, ces restrictions constituent une menace grave pour la liberté d’expression et d’information, pourtant garanties tant par la Constitution congolaise que par les instruments juridiques internationaux ratifiés par le pays.
1. Atteinte manifeste à la Constitution congolaise
La Constitution de notre pays, en son article 23, consacre la liberté d’expression et d’information comme un droit fondamental. L’exigence imposée aux médias de ne relayer que des informations issues de « sources officielles » porte un coup direct à ce principe. Elle réduit les journalistes à de simples relais du discours étatique, neutralisant leur rôle critique et indépendant.
Cette dérive est aggravée par le recours à des mesures préventives de censure. Comme l’a rappelé l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC), toute régulation des médias doit s’effectuer a posteriori, sur la base de violations concrètes et avérées. Les interdictions généralisées et anticipées du CSAC relèvent d’une censure déguisée, clairement prohibée par la Constitution.
2. Violations des normes internationales
En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la RDC est tenue de garantir la liberté d’expression (article 19). Toute restriction à ce droit doit satisfaire un double impératif :
– Nécessité (protection d’un intérêt supérieur, comme la sécurité nationale) ;
– Proportionnalité (mesure la moins intrusive possible).
Ce principe de proportionnalité, résumé par la maxime « on ne casse pas une noisette avec un marteau-pilon » (J.-P. Marguénaud, 2001), exige une adéquation entre l’objectif légitime et les moyens employés. La Cour européenne des droits de l’Homme y associe la recherche d’un « juste équilibre » entre intérêt général et droits individuels.
L’arrêt fondateur Handyside c/ Royaume-Uni (7 décembre 1976) a précisé ce cadre : une ingérence dans la liberté d’expression n’est licite que si elle est 1) prévue par la loi, 2) justifiée par un but légitime (sécurité, morale publique, etc.), et 3) « nécessaire dans une société démocratique ».La Cour y a souligné avec force que :
« La liberté d’expression vaut […] pour les idées qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction de la population. »
Or, l’interdiction faite aux médias congolais de traiter des sujets liés au M23, au Rwanda ou aux zones de conflit dépasse radicalement ces garde-fous. Elle prive les citoyens d’un débat pluraliste sur des enjeux vitaux pour la nation.
Cette censure viole aussi la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique (CADHP, 2019), qui n’autorise en période de conflit que des restrictions « exceptionnelles, ciblées et temporaires ». L’obligation de validation militaire pour les émissions en direct et les débats excède manifestement ce cadre.
3. Des restrictions disproportionnées et liberticides
Le CSAC porte également atteinte à l’essence même du métier de journaliste. En interdisant toute couverture des rebelles ou de leurs alliés présumés, il empêche la pratique du journalisme d’investigation, pourtant crucial pour comprendre les origines et les dynamiques du conflit.
Pire encore, les sanctions imposées – notamment la fermeture des médias – sont non seulement excessives, mais aussi non conformes à la hiérarchie des sanctions prévues par la loi congolaise. Ces mesures, appliquées sans recours judiciaire effectif, instaurent un climat de peur et d’autocensure, délétère pour la démocratie.
La sécurité nationale est un impératif légitime, mais elle ne saurait être un prétexte à une mainmise sur l’espace médiatique. Les restrictions imposées par le CSAC ne respectent ni les exigences de nécessité, ni celles de proportionnalité ou de transparence. En cela, elles violent la Constitution congolaise, les traités internationaux et sapent les fondements d’une démocratie fonctionnelle.
4. Glissement vers un autoritarisme médiatique
Les justifications avancées par le CSAC – notamment la nécessité de préserver la cohésion nationale dans un contexte de guerre à l’Est – masquent mal une volonté de contrôle politique de l’information. Le lien explicitement fait par son président entre l’interdiction de couvrir Joseph Kabila et sa présence à Goma, zone sous influence du M23, illustre une instrumentalisation sécuritaire à visée politique.
De surcroît, qualifier certaines analyses critiques ou couvertures journalistiques de « démoralisation des FARDC » expose les médias à des sanctions arbitraires, allant jusqu’à la fermeture de chaînes, comme déjà observé. Cela revient à criminaliser le journalisme indépendant, un phénomène alarmant dans un pays qui se veut démocratique.
5. Un étouffement du pluralisme et de la démocratie
Les restrictions du CSAC ont finalité l’aboutissement à un monopole de l’information par l’État, un tel monopole est incompatible avec les exigences du pluralisme démocratique. En contraignant les journalistes à ne s’appuyer que sur les sources gouvernementales, on prive le public d’une diversité de points de vue – ce que l’UNPC dénonce comme une violation du droit constitutionnel du public à l’information.
L’incohérence dans l’application des interdictions achève de discréditer l’institution régulatrice. Tandis que les activités du PPRD (parti de Kabila) finissent par être autorisées sous conditions, toute couverture des « agresseurs » demeure proscrite – révélant une approche sélective et politisée de la régulation.
Comme le résume justement un député : « Le CSAC semble dirigé pour faire plaisir au gouvernement. » Cette dérive autoritaire menace à la fois la liberté de la presse, le droit du public à l’information et la crédibilité des institutions. Restaurer un cadre équilibré entre impératif sécuritaire et liberté d’informer demeure plus que jamais une urgence démocratique.
Maître Guy-Patrick KIBA TYPO
Avocat -Défenseur des droits humains
Président et Fondateur de l’AISBL ALRIGHTS – Institut International pour les Droits Fondamentaux
Propos recueillis par JRM